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La mémoire des kilos


Le cerveau garde en mémoire l’image du corps, son volume, son poids peut-être. Et
quand par un régime trop strict on perd rapidement du poids, il cherche à retrouver son
habitacle habituel en faisant en sorte, via les comportements alimentaires, les sécrétions
hormonales, le niveau d’activité et de veille de l’organisme, que le corps retrouve volume
et poids antérieurs. Le cerveau humain est conservateur et n’aime guère les changements
trop brutaux.
Alors, la mémoire ennemie de la perte de poids ? Pas seulement. On peut s’en faire une
alliée. D’abord parce que la mémoire n’est pas gravée dans le marbre des neurones. Elle
évolue. Elle se modifie sans cesse.
En sus de la mémoire individuelle, il y a la mémoire collective. Nous nous conformons
à l’image que les autres attendent de nous. Et les cerveaux d’autrui sont aussi
conservateurs que le nôtre. Habitués à une image de nous-mêmes, ils voudraient que
nous restions conformes à cette image.
Il faut se méfier de ses souvenirs car ils réécrivent l’histoire. L’événement est perçu
dans une version particulière où ses différents détails vont être perçus de façons
différentes. Et les reviviscences vont conduire à exagérer ou à effacer tel ou tel détail.
Ainsi, de réécriture en réécriture, le souvenir s’éloigne de la réalité. Les émotions
modifient l’ensemble des composantes de la mémoire en exagérant ou en annulant
certains détails mémorisés et le sentiment de réalité d’un souvenir.
La mémoire, en retour, participe grandement à la construction, et de fait à l’image que
l’on a de soi, et définit en partie le rapport que l’on a avec les autres.
C’est en travaillant sur les différents types de mémoire (mémoire épisodique,
sémantique, celle des connaissances générales) que l’on peut acquérir une nouvelle image
de soi, se voir autrement, se considérer autrement, et considérer autrement son
environnement. La représentation de soi évolue, grâce à l’expérience de la vie mais aussi à
un travail personnel sur sa mémoire qui peut être mené avec un psychologue ou un
hypnothérapeute. La construction mnésique de soi peut être modifiée. La répétition
interne des souvenirs, qui consiste à repenser, à écrire ou à communiquer à autrui, fait
ressortir certains détails qui modifient le tableau. C’est pourquoi parler de soi, de celle ou
celui que l’on est, mais aussi que l’on était, modifie l’image que l’on a de soi. La répétition
externe, qui consiste à revivre des événements similaires à ceux que l’on a vécus, y
contribue aussi grandement. On le constate aisément quand on revoit à des années de
distance un film qui avait marqué notre mémoire épisodique : le film ne nous touche pas
de la même façon, des scènes qui nous avaient marqués ne nous touchent plus mais, à
l’inverse, on relève des détails visuels, sonores, ou des messages que l’on n’avait pas
perçus ou dont on n’avait pas gardé trace. De même, nos relations affectives présentes
peuvent permettre de retrouver des situations affectives passées et de les revivre
différemment. Revivre un événement en répétition externe permet de passer de
l’épisodique au sémantique, de sémantiser l’événement, c’est-à-dire de lui donner du
sens. Par exemple, un enfant qui va au restaurant pour la première fois en gardera une
trace émotionnelle singulière dans sa mémoire épisodique, et plus il retournera dans de
grands restaurants, plus il apprendra des choses sur la restauration en général – ce qui
mettra en jeu sa mémoire sémantique –, plus sa mémoire épisodique s’effacera,
transformant la carte émotionnelle qu’il a de lui. Or la modification de notre carte
émotionnelle a des conséquences sur la distribution émotionnelle de nos graisses.
Le corps est construit émotionnellement, il est chargé d’émotions par le psychisme.
Quoi de plus logique, en conséquence, que le psychisme charge émotionnellement ce que
l’individu consomme ? Et que l’on mange différemment en fonction de nos émotions ?
Nous sommes tous, à des degrés divers bien sûr, des « mangeurs émotionnels 4 ».

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